La suite dépendra de trois variables clés : le rythme de la remontée des taux, la stabilité régionale autour de Taïwan, et le gouvernement.

Bienvenue au Japon, version 2025. Un pays souvent perçu comme un modèle de stabilité, mais qui traverse aujourd’hui une zone de turbulences intenses. Entre une dette publique hors normes, une inflation qui ne décroche plus, une croissance en panne, des taux d’intérêt qui repartent à la hausse et une tension géopolitique ravivée avec la Chine, le pays semble vivre une séquence où tout arrive… en même temps.
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Et pour ne rien simplifier, à la tête du gouvernement trône désormais une Première ministre au style très affirmé : Sanae Takaichi, aussi directe dans ses décisions économiques que ferme dans sa politique étrangère.
Le réveil brutal des taux japonais
Pendant près de deux décennies, les taux d’intérêt au Japon ont frôlé le néant. Des années de politique monétaire ultra-accommodante, de taux négatifs, et d’interventions massives de la Banque du Japon (BoJ) avaient figé le marché obligataire dans une sorte de coma artificiel.
Mais en novembre 2025, tout a changé. Le rendement de l’emprunt d’État à 10 ans a franchi la barre symbolique de 1,8 %, un niveau qu’on n’avait plus vu depuis 2008, au lendemain de la crise Lehman. Pour un pays qui a vécu quinze ans avec des taux proches de zéro, cette hausse est une secousse majeure.
Les taux à 20 ans dépassent désormais les 2,8 %, tandis que les maturités les plus longues s’échangent entre 3,3 et 3,7 %, du jamais-vu. Ces chiffres, bien que faibles dans l’absolu, représentent une charge potentielle colossale pour un État dont la dette dépasse largement les standards internationaux. Et cela se produit alors même que la BoJ a mis fin à sa politique de taux négatifs et commencé à réduire sa présence sur les marchés obligataires.
Une économie qui cale, une inflation qui s’installe
En toile de fond, l’économie japonaise donne des signes d’essoufflement. Le produit intérieur brut s’est contracté de 1,8 % au troisième trimestre 2025, marquant la première baisse en plus d’un an. Dans le même temps, l’inflation reste collée à 3 %, bien au-dessus de la cible officielle de 2 % poursuivie par la Banque du Japon.
Cette situation crée une tension classique mais redoutable : d’un côté, les prix grimpent, rongeant le pouvoir d’achat des ménages ; de l’autre, la croissance ralentit, limitant les marges de manœuvre budgétaires. Le Japon entre dans une zone inconfortable, avec des marchés qui commencent à comparer cette dynamique à celle de la crise obligataire britannique de 2022, provoquée par des annonces budgétaires jugées irréalistes.
Une dette publique à des niveaux vertigineux
Le Japon est aujourd’hui le pays développé le plus endetté au monde. En 2024, la dette publique représentait 237 % du PIB, un ratio astronomique. Pour mieux comprendre cette dérive, il faut remonter aux années 1990, lorsqu’après l’éclatement de la bulle immobilière, Tokyo a enchaîné les plans de relance pour éviter une dépression prolongée.
Dans les années 1980, la dette ne représentait que 50 % du PIB. Mais entre la crise financière asiatique, la crise de 2008, les catastrophes naturelles, le vieillissement démographique et le choc du Covid, le Japon a empilé les déficits et financé la croissance par l’emprunt. Le pic a été atteint autour de 260 % entre 2020 et 2022, avant un léger reflux lié à l’inflation qui gonfle artificiellement le PIB nominal.
Certes, l’argument répété par Tokyo est que la dette est détenue à plus de 85 % par des investisseurs domestiques, avec la Banque du Japon en première ligne. Cela limite le risque de panique immédiate. Mais ce matelas devient de plus en plus fragile : la BoJ se désengage lentement, les assureurs réduisent leurs positions en titres à très long terme, et les investisseurs étrangers affluent, attirés par les rendements. Or, leur présence rend le marché plus liquide… mais aussi plus nerveux à la moindre alerte.
La relance façon Takaichi : massive, assumée, risquée
Arrivée au pouvoir en octobre 2025, Sanae Takaichi n’a pas tardé à annoncer la couleur : sa politique économique sera offensive, inspirée à la fois du keynésianisme classique et du style de Margaret Thatcher. Elle veut relancer la croissance, soutenir le pouvoir d’achat, investir massivement dans la défense et les nouvelles technologies.
Le plan de relance validé fin novembre est colossal : 21,3 trillions de yens, soit environ 135 milliards de dollars. Ce programme comprend des aides directes pour les enfants, des baisses ciblées de taxes, des subventions pour l’énergie et l’alimentation, ainsi que des investissements massifs dans l’intelligence artificielle, les semi-conducteurs et l’appareil militaire.
Une partie de ce plan sera financée par des recettes fiscales inattendues. Le reste ? Par de nouvelles émissions de dette. C’est là que les marchés commencent à tiquer : une dette déjà gigantesque, à laquelle s’ajoutent des dépenses publiques supplémentaires, dans un contexte de hausse des taux… la boucle devient explosive.
Une Banque du Japon en retrait, un marché sous tension
Pendant des années, la Banque du Japon a agi comme un gigantesque filet de sécurité. Elle a absorbé la majorité des obligations émises, maintenant artificiellement les taux à des niveaux très bas. Ce temps est révolu. Depuis janvier, la BoJ a abandonné les taux négatifs et laissé les rendements longs se redéployer.
Cette transition inquiète. Car si les taux moyens de financement atteignent 2 à 3 %, les charges d’intérêt de l’État japonais pourraient bondir de 50 % d’ici 2028, selon les prévisions du ministère des Finances. La dynamique de la dette deviendrait alors extrêmement difficile à contenir, même dans un pays aussi discipliné que le Japon.
Taïwan : la géopolitique entre dans l’équation
Comme si les pressions économiques ne suffisaient pas, la Première ministre a fait un choix stratégique fort : celui d’assumer pleinement un soutien à Taïwan. Début novembre, elle a déclaré qu’un blocus chinois autour de l’île pourrait être considéré comme une menace directe pour la survie du Japon, ce qui ouvrirait la voie à une réponse militaire conjointe avec les États-Unis.
La réaction de Pékin a été immédiate et violente : rappel d’ambassadeur, menaces économiques, appel au boycott touristique… jusqu’à un message provocateur posté par un diplomate chinois appelant à “couper la tête” de Takaichi, rapidement supprimé, mais qui a provoqué un tollé à Tokyo.
Au-delà de la crise diplomatique, cette tension ravive une autre inquiétude : celle d’une prime de risque géopolitique qui viendrait renchérir le coût d’emprunt de l’État japonais.
Une Première ministre populaire… pour l’instant
Malgré tous ces signaux inquiétants, Sanae Takaichi bénéficie d’un soutien populaire exceptionnel. Les sondages la placent autour de 70 à 75 % d’opinions favorables, des niveaux rarement atteints dans la politique japonaise moderne.
Son style direct, son volontarisme sur le pouvoir d’achat, sa fermeté sur la Chine, tout cela séduit. Son image de bosseuse infatigable – elle revendique dormir seulement trois ou quatre heures par nuit – participe aussi à son aura, même si certains y voient le symbole d’une culture du surmenage dangereuse dans un pays marqué par les cas de karoshi, la mort par excès de travail.
Le Japon va-t-il exploser ? Pas tout de suite, mais…
La question revient en boucle dans les cercles économiques : est-on à la veille d’une crise façon Grèce 2010 ou Royaume-Uni 2022 ? La réponse la plus raisonnable est : pas encore.
La dette est en grande partie domestique, la BoJ conserve une capacité d’intervention massive, les taux réels restent faibles, et le Japon reste une puissance économique crédible. Mais l’ère de l’impunité budgétaire semble toucher à sa fin. La montée des taux signale que les marchés commencent à tester la solidité du modèle japonais.
Si les tensions géopolitiques s’aggravent, si la croissance continue de flancher, si la dette s’emballe sans stratégie de désendettement… le Japon pourrait entrer dans une zone où chaque faux pas coûtera très cher.
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