Hiroshima, dans lâhumiditĂ© moite dâun Ă©tĂ© japonais, une Ă©trange silhouette poilue est apparue, un cri, un nom, une lĂ©gende : Hibagon.

Ce cryptide local, mi-homme mi-bĂȘte, a dĂ©clenchĂ© une vague de fascination qui ne sâest jamais tout Ă fait Ă©teinte.
Cinquante ans plus tard, le monstre nâa pas disparu. Il a simplement changĂ© de visage⊠pour devenir une icĂŽne pop !
đČ LâĂ©tĂ© oĂč tout a basculĂ©
Tout commence un soir du 20 juillet 1970, lorsquâun automobiliste, en route dans le district montagneux de SaijĆ (aujourdâhui rattachĂ© Ă la ville de ShĆbara), affirme avoir vu une crĂ©ature Ă©trange marcher sur deux jambes. Trois jours plus tard, un agriculteur tombe nez Ă nez avec ce mĂȘme ĂȘtre mystĂ©rieux, Ă la lisiĂšre de sa riziĂšre. Le 30 juillet, une nouvelle apparition dĂ©clenche une vĂ©ritable fiĂšvre mĂ©diatique. La presse rĂ©gionale sâemballe, les unes se succĂšdent, et lâhistoire prend racine dans lâimaginaire collectif.
Ă lâautomne, un groupe dâĂ©tudiants de lâuniversitĂ© de Kobe installe un camp dâobservation au mont Hiba, espĂ©rant capturer une preuve concrĂšte de lâexistence du monstre. En dĂ©cembre, la police locale dĂ©couvre et moule une empreinte de pas retrouvĂ©e en altitude, mesurant 21 centimĂštres de long pour 13 de large. Ce moulage restera lâunique trace physique jamais retrouvĂ©e de la crĂ©ature.
đ Quand le monstre sâinvite Ă la mairie
Face aux dizaines de coups de fil, aux lettres paniquĂ©es et Ă la pression mĂ©diatique, les autoritĂ©s locales dĂ©cident de rĂ©agir. La mairie de SaijĆ met alors en place un service unique au monde : un guichet des anthropoĂŻdes, destinĂ© Ă centraliser les tĂ©moignages et Ă rassurer les habitants.
Entre 1970 et 1974, ce service enregistre pas moins de 29 signalements. Aucun blessĂ©, aucune agression, mais un climat de peur bien rĂ©el dans les campagnes environnantes. En 1975, le guichet ferme ses portes, marquant la fin officielle de lâaffaire. Pourtant, dans les mĂ©moires, Hibagon nâest jamais reparti.
Un habitant de ShĆbara se souviendra, des dĂ©cennies plus tard, de cette Ă©poque oĂč lâon nâosait plus sortir la nuit, tout en Ă©voquant cette pĂ©riode avec une forme de tendresse : « On a eu peur, mais aujourdâhui, câest un doux souvenir. »
đŁ Un monstre Ă©trange⊠mais pas si effrayant
Ce qui frappe dans les tĂ©moignages, câest leur cohĂ©rence. La crĂ©ature dĂ©crite mesure environ un mĂštre soixante, se tient debout, et possĂšde une silhouette trapue, presque gorillesque. Son visage, souvent comparĂ© Ă un triangle inversĂ©, dĂ©gage une certaine Ă©trangetĂ©. Elle est recouverte de poils bruns, variant du clair au trĂšs sombre.
Lâanimal semble lent, discret, et surtout, non agressif. On est loin du yĂ©ti menaçant des montagnes himalayennes. Hibagon Ă©voque plutĂŽt une version nippone, plus modeste et plus furtive, du cĂ©lĂšbre Bigfoot amĂ©ricain. Aujourdâhui encore, les empreintes moulĂ©es Ă lâĂ©poque sont prĂ©cieusement conservĂ©es, notamment au commissariat de ShĆbara.
Plusieurs hypothĂšses ont tentĂ© dâexpliquer lâapparition du Hibagon. Certains avancent quâil pourrait sâagir dâun singe ou dâun macaque Ă©garĂ©, dont la silhouette aurait Ă©tĂ© amplifiĂ©e par la peur. Dâautres parlent dâun ours briĂšvement redressĂ© sur ses pattes arriĂšre. Une rumeur locale a mĂȘme Ă©voquĂ© un primate Ă©chappĂ© dâun zoo, sans que cela ne soit jamais prouvĂ©.
Mais au fond, ce qui fait tenir lâhistoire, câest peut-ĂȘtre moins la science que lâimaginaire. Le mont Hiba, riche en croyances anciennes et en rĂ©cits montagnards, offre un terrain fertile aux lĂ©gendes. Dans ce contexte, lâapparition dâun homme-bĂȘte sâinscrit naturellement dans une tradition locale oĂč la nature nâest jamais tout Ă fait muette.
đ§ž Le Hibagon devient une peluche officielle
Ă la fin des annĂ©es 1990, alors que le Japon adopte en masse ses mascottes rĂ©gionales, les cĂ©lĂšbres yuru-chara, la ville de ShĆbara dĂ©cide de donner un nouveau visage Ă son monstre. Hibagon est relookĂ© en crĂ©ature rondelette et attachante, au pelage orange et Ă la mine joviale. Le croquemitaine des annĂ©es 70 devient ambassadeur touristique.
On le retrouve aujourdâhui sur les panneaux de bienvenue Ă lâentrĂ©e de la ville, dans les festivals, sur les emballages de confiseries locales appelĂ©es « Ćufs de Hibagon », et mĂȘme dans un plat typique rebaptisĂ© « Hibagon-don ». Lors des Ă©vĂ©nements, la mascotte apparaĂźt en chair et (beaucoup de) poils pour saluer les visiteurs. Le monstre est devenu un symbole bienveillant, presque affectueux, que lâon expose fiĂšrement.
đŹ Quand la culture populaire sâen mĂȘle
La trace du Hibagon ne sâarrĂȘte pas Ă la presse locale. Dans Dragon Quest II, un monstre baptisĂ© « Hibabango » reprend clairement les sonoritĂ©s du cĂ©lĂšbre cryptide. Une maniĂšre de glisser un clin dâĆil Ă la lĂ©gende dans lâun des jeux vidĂ©o les plus populaires du pays.
En 2005, le cinĂ©ma sâen empare Ă son tour avec le film Hinagon, rĂ©alisĂ© par Takayoshi Watanabe. Le long-mĂ©trage, tournĂ© Ă SaijĆ mĂȘme, transpose la fiĂšvre des annĂ©es 70 en fable humaine. Si le film ne deviendra pas un classique, il prouve nĂ©anmoins que le Hibagon a marquĂ© les esprits au point dâinspirer la fiction.
Lâhistoire du Hibagon sâĂ©tend sur plusieurs annĂ©es. Tout dĂ©bute en juillet 1970, avec une sĂ©rie dâapparitions qui bouleversent le quotidien rural de SaijĆ. Lâautomne voit arriver les premiers chercheurs amateurs, les empreintes sont dĂ©couvertes en dĂ©cembre, et le guichet officiel ouvre en 1971. LâĂ©cho du monstre retentit jusquâen 1974, avant de sâĂ©teindre lentement.
Mais dĂšs la fin des annĂ©es 1990, la ville dĂ©cide de faire renaĂźtre la crĂ©ature sous une forme plus rassurante. Hibagon entame alors une nouvelle vie, en tant que mascotte rĂ©gionale. En 2005, il sâinvite mĂȘme sur les Ă©crans de cinĂ©ma. Dâun simple phĂ©nomĂšne de lâĂ©tĂ©, il est devenu patrimoine vivant.
đ§ Sur les traces du Hibagon
Pour les curieux et les nostalgiques, il est encore possible de visiter les lieux marquĂ©s par lâhistoire. Le mont Hiba, dans la ville de ShĆbara, reste un haut lieu du mythe. On peut y voir les panneaux âHibagon no Satoâ, croiser la mascotte lors de festivals, goĂ»ter les douceurs locales Ă son effigie, et mĂȘme admirer derriĂšre une vitre le moulage original des empreintes retrouvĂ©es il y a plus de 50 ans.
Les archives des journaux comme Asahi Shimbun ou Kyodo News permettent Ă©galement de se replonger dans lâambiance Ă©lectrique de cet Ă©tĂ© hors du commun. Quant au site Yokai.com, il propose une lecture plus symbolique du Hibagon, en le rattachant Ă lâimaginaire des yĆkai japonais.
Ce qui rend le Hibagon si fascinant, ce nâest pas tant sa vĂ©racitĂ© que ce quâil raconte de nous. Il incarne Ă merveille la naissance dâun mythe contemporain : un lieu fort, un rĂ©cit partagĂ©, une mĂ©moire collective, et une transformation du monstre en emblĂšme.
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