🧩 Comment le Japon a dominé l’électronique puis s’est neutralisé

Cette hégémonie « hardware » s’est fissurée et non pas parce que le Japon aurait oublié comment fabriquer.

Comment le Japon a dominé l’électronique

Il y a des périodes où un pays ne vend pas seulement des produits, il vend une sensation. Dans les années 1980, le « made in Japan » ressemblait à une avance sur calendrier : miniaturisation, fiabilité, obsession de la qualité, tout semblait sortir des usines avec une longueur d’avance.

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Si vous avez déjà eu entre les mains un appareil japonais de cette époque, vous voyez exactement de quoi je parle : cette impression que rien ne bouge, rien ne grince, rien n’est laissé au hasard.

Quand le futur tenait dans une boîte

Au départ, l’âge d’or repose sur une idée simple : la supériorité se prouve au tournevis. On gagne parce qu’on maîtrise les composants, les machines, les tolérances, la chaîne complète. L’entreprise finit par ressembler à ses produits : fermée, intégrée, « complète ». Tant que le marché achète des objets, cette logique est redoutable.

Le basculement arrive quand les consommateurs, puis les entreprises, cessent d’acheter des objets isolés pour acheter des systèmes. À partir de là, être excellent en matériel devient indispensable, mais ce n’est plus suffisant.

Monnaie forte et frictions commerciales

Le choc, c’est aussi une histoire de devise. Après 1985 et l’accord du Plaza, le yen se renforce, la compétitivité prix se tend, et le hardware grand public, qui vit de volumes, se retrouve avec une sorte de « taxe invisible » sur chaque exportation. La réponse industrielle est rationnelle : délocaliser une partie de la production en Asie pour garder des coûts acceptables.

Sauf qu’en externalisant le volume, on externalise aussi une partie de l’apprentissage. Et c’est précisément à ce moment que d’autres régions montent en gamme, s’entraînent sur les mêmes lignes, progressent sur les mêmes contraintes, et deviennent des concurrents de plus en plus crédibles.

La guerre des puces

Le cas le plus pédagogique, c’est la DRAM. Une commodité pure : peu de différenciation, une pression violente sur les coûts, des cycles d’investissement impitoyables. Le Japon domine un temps, puis la bataille se déplace sur le terrain politique et commercial, avec des accords, des engagements, des représailles. Sur le papier, on « gère » le marché. Dans la réalité, on modifie les prix, on clarifie le jeu… et on rend l’opportunité plus visible pour d’autres acteurs.

La suite est presque mécanique : ceux qui acceptent de tenir plus longtemps, de perdre plus longtemps, d’investir plus vite finissent par l’emporter. Le symbole final, c’est Elpida et sa faillite en 2012. À ce stade, la question n’est plus « qui est bon », mais « qui peut survivre au concours mondial de capital et d’échelle ».

Standards globaux

Pendant que certaines batailles se jouent en usine, une autre se joue dans l’architecture même des marchés. L’informatique personnelle, puis l’électronique grand public, se standardisent. On ne gagne plus en verrouillant un écosystème local, on gagne en s’adossant à des standards mondiaux.

Le PC-98 de NEC illustre parfaitement la douleur : domination domestique, écosystème solide, distribution, base logicielle… puis Windows uniformise les attentes, et le centre de gravité se déplace. Ce n’est pas une défaite « technique ». C’est une défaite économique : quand la valeur migre vers l’OS, les API, les outils développeurs et les effets de réseau, l’excellence matérielle devient une condition d’entrée, pas une ligne d’arrivée.

Le piège « Galápagos »

C’est peut-être la partie la plus cruelle, parce qu’elle ressemble à une avance… qui se transforme en isolement. Le Japon invente tôt des usages proches de notre vie mobile moderne : services, contenus, paiements, navigation. Mais l’écosystème reste façonné par des standards locaux, par le poids des opérateurs, par des contraintes domestiques très spécifiques.

Puis le smartphone change la règle du jeu : plateformes d’applications, développeurs mondiaux, itérations rapides, amortissement sur des centaines de millions d’utilisateurs. Dans ce monde, vous pouvez fabriquer un bijou d’ingénierie, mais le marché paie l’écosystème.

La télé : l’écran devient une commodité

La télévision résume la brutalité de la transition. Les marques japonaises dominent l’ère CRT, puis trébuchent dans l’écran plat, au moment où la concurrence asiatique joue parfaitement la guerre des volumes, des coûts, et des cycles d’investissement. Panasonic, Sharp, Toshiba : les décisions stratégiques s’accumulent, les pertes aussi, et la fabrication comme la marge glissent ailleurs.

Ce moment est important à comprendre, parce qu’il fait apparaître un motif qui revient sans cesse : quand une catégorie devient une commodité, le prestige de marque ne suffit plus à compenser une structure de coûts défavorable.

Ce qui meurt vraiment

À ce stade, la question la plus utile n’est pas « pourquoi le Japon a perdu », mais « qu’est-ce qui a cessé de valoir cher ».

Avant, la valeur est dans l’objet : pièces, usines, qualité, marques. Ensuite, la valeur est dans la coordination : standards, plateformes, distribution logicielle, données, vitesse d’itération.

Et c’est là que l’histoire devient plus intéressante qu’un simple récit de déclin, car le Japon ne sort pas de l’industrie. Il se déplace vers des segments moins visibles, souvent plus défendables : matériaux, équipements, précision, chimie, goulots d’étranglement amont.

Recycler l’ancien empire : des usines vers les data centers

La boucle récente a quelque chose de paradoxal, presque élégant. Relancer les semi-conducteurs, oui, mais aussi réutiliser les infrastructures de l’ancienne ère matérielle. Une usine pensée pour des contraintes thermiques, énergétiques et logistiques peut redevenir précieuse dans un monde obsédé par le calcul.

Et derrière cette réorientation, il y a aussi une bataille de talents, d’attractivité, de stratégie publique.

Au fond, l’ère matérielle japonaise ne s’est pas « éteinte » comme une lumière qu’on coupe. Elle s’est transformée, parfois douloureusement, parce que le monde a déplacé son prix : du produit vers la plateforme, puis de la plateforme vers l’infrastructure du calcul.

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Auteur/autrice : Louis Japon

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