VoilĂ pourquoi lâextrĂȘme droite japonaise aussi bruyante soit-elle avec ses camions noirs, restera sur le bas-cĂŽtĂ© encore longtemps !

Au Japon, les drapeaux impériaux flottent parfois dans les rues de Tokyo, accrochés à des camions noirs diffusant de vieux hymnes militaires. Et pourtant⊠dans les urnes, la droite radicale ne décolle jamais.
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Alors que dâautres pays ont vu leurs partis nationalistes grimper au sommet du pouvoir, le Japon reste une Ă©nigme : pourquoi lâultra-droite japonaise nâa-t-elle jamais conquis le cĆur des Ă©lecteurs ?
đ°ïž Un nationalisme dâaprĂšs-guerre trĂšs encadrĂ©
Pour comprendre le blocage, il faut revenir Ă 1945. Le Japon vient de capituler. Hiroshima et Nagasaki ont marquĂ© la fin dâun rĂȘve impĂ©rial transformĂ© en cauchemar. Le pays est occupĂ© par les AmĂ©ricains, et avec eux arrive une nouvelle Constitution : interdiction de la guerre, dĂ©militarisation, dĂ©mocratie parlementaire.
Dans ce nouveau cadre, impossible de reconstruire un mouvement politique nationaliste radical Ă la maniĂšre dâavant-guerre. Lâancien rĂ©gime impĂ©rial et les forces militaristes sont discrĂ©ditĂ©s. Le nationalisme d’Ătat est mis sous cloche, remplacĂ© par un systĂšme politique centrĂ© sur la stabilitĂ©, la reconstruction et le pacifisme.
Mais cela ne veut pas dire que le nationalisme disparaĂźt. Il se recycle. DĂšs les annĂ©es 1950, le Parti LibĂ©ral-DĂ©mocrate (PLD) devient le mastodonte du paysage politique. Et en son sein, on retrouve des figures trĂšs conservatrices, nostalgiques de lâordre ancien. En gros : plutĂŽt que dâĂȘtre visibles, les nationalistes sâinfiltrent dans le pouvoir.
đïž Le PLD, digesteur dâextrĂȘme droite
Le PLD, câest un peu le fourre-tout de la droite japonaise. Il est au pouvoir presque sans interruption depuis 1955. Câest un parti qui fonctionne par factions internes, certaines plus modĂ©rĂ©es, dâautres beaucoup plus nationalistes. RĂ©sultat : lâĂ©lectorat de droite nâa jamais vraiment eu besoin de crĂ©er un parti ultra. Il lui suffisait de voter pour les bonnes personnes dans le bon parti.
Des figures comme Shinzo Abe ont clairement penchĂ© Ă droite : rĂ©visionnisme historique, volontĂ© de rĂ©viser la Constitution pacifiste, visites au trĂšs controversĂ© sanctuaire Yasukuni. Mais tout cela sâest fait Ă lâintĂ©rieur du cadre institutionnel. Aucun besoin de sortir du PLD pour porter un agenda conservateur. LâextrĂȘme droite reste marginale car son ADN est dĂ©jĂ , en partie, intĂ©grĂ© au systĂšme.
đ§± Des murs constitutionnels solides
Le Japon moderne repose sur une base juridique anti-militariste. Lâarticle 9 de la Constitution interdit Ă jamais la guerre comme moyen de rĂ©soudre les conflits. Cette clause est devenue un pilier de lâidentitĂ© dâaprĂšs-guerre. MĂȘme quand certains gouvernements tentent dâen contourner lâesprit, elle reste intouchable aux yeux dâune majoritĂ© de citoyens.
Câest un rempart symbolique et politique. Il empĂȘche toute frĂ©nĂ©sie belliqueuse de sâancrer dans un programme Ă©lectoral crĂ©dible. Impossible pour un parti dâextrĂȘme droite dâappeler Ă reconstituer une armĂ©e puissante ou de se rĂȘver en empire renaissant sans heurter la majoritĂ© pacifiste.
đłïž Un systĂšme Ă©lectoral qui broie les petits partis
Autre frein : le mode de scrutin japonais. Câest un systĂšme mixte entre vote uninominal et proportionnel. Dans les faits, ça favorise les grands partis et Ă©touffe les petits outsiders. Les partis nationalistes qui Ă©mergent de temps en temps â avec des slogans anti-immigrĂ©s ou ultra-conservateurs â finissent souvent engloutis par la machine PLD ou nâarrivent mĂȘme pas Ă obtenir un seul siĂšge.
RĂ©sultat : mĂȘme si des mouvements dâultra-droite existent (dans la rue, en ligne ou via des associations), ils restent exclus des leviers du pouvoir parlementaire. Pas de reprĂ©sentation, pas de tribune nationale.
đ€ Culture du consensus, rejet du conflit
Le Japon nâest pas un pays oĂč le clash politique est bien vu. La sociĂ©tĂ© repose sur le «âŻwaâŻÂ» â lâharmonie. Câest vrai au travail, Ă lâĂ©cole, en famille⊠et en politique. LâagressivitĂ© verbale ou la radicalitĂ© affichĂ©e ne sont pas valorisĂ©es. On prĂ©fĂšre les compromis feutrĂ©s, les discours ambigus, les postures modĂ©rĂ©es.
Une grande partie des Japonais se mĂ©fient donc naturellement des partis qui hurlent trop fort. LâidĂ©e dâun leader nationaliste charismatique capable de mobiliser les foules en gueulant contre les Ă©trangers, comme on lâa vu ailleurs, colle mal avec la culture locale. Le Japon aime les technocrates tranquilles, pas les hommes forts.
âąïž Le traumatisme de la guerre nuclĂ©aire
Ajoutons Ă cela une mĂ©moire collective trĂšs marquĂ©e par les horreurs de la guerre. Hiroshima, Nagasaki, les bombardements massifs de Tokyo, les privations, la dĂ©faite totale⊠Le souvenir est encore bien prĂ©sent. RĂ©sultat : tout ce qui rappelle de prĂšs ou de loin lâidĂ©ologie militariste est mal vu, surtout par les gĂ©nĂ©rations les plus ĂągĂ©es.
MĂȘme dans les familles conservatrices, on transmet souvent le rejet du fanatisme dâavant-guerre. Le pacifisme est devenu une norme, presque sacrĂ©e. Le nationalisme brutal, nostalgique de lâĂ©poque impĂ©riale, est un tabou pour beaucoup.
𧳠Immigration : pas de bouc émissaire efficace
Un terrain de jeu habituel pour lâextrĂȘme droite dans le monde, câest lâimmigration. Mais au Japon, la situation est diffĂ©rente. Certes, des discours xĂ©nophobes existent, en particulier en ligne ou dans certains groupuscules comme la Zaitokukai. Mais globalement, les Japonais sont plutĂŽt pragmatiques sur la question.
Avec une population vieillissante et une main-d’Ćuvre qui s’effondre, mĂȘme les gouvernements conservateurs ont assoupli les rĂšgles pour faire venir des travailleurs Ă©trangers. Et surprise : ça ne scandalise pas tant que ça. Les grandes vagues de rejet populaire, comme on les voit en Europe, ne prennent pas ici.
Les Ă©trangers sont encore peu nombreux, souvent cantonnĂ©s Ă des rĂŽles Ă©conomiques prĂ©cis, et leur prĂ©sence ne dĂ©clenche pas de panique nationale. Pas de peur diffuse, pas de vote de rejet massif Ă capitaliser pour un parti dâultra-droite.
đ± Nationalisme de clavier, sans rĂ©el impact
Cela ne veut pas dire quâil nây a pas de nationalistes au Japon. Ils sont nombreux⊠mais surtout sur Internet. La «âŻnetto-uyokuâŻÂ», ou droite radicale en ligne, alimente forums, vidĂ©os YouTube, commentaires rageurs. Elle sâen prend aux CorĂ©ens, aux Chinois, aux pacifistes, aux fĂ©ministesâŠ
Mais cette droite digitale reste trÚs minoritaire et sans véritable impact politique. Quelques tentatives de manifestations ont existé, quelques candidats extrémistes ont tenté leur chance⊠sans succÚs. Dans les urnes, le Japon reste largement imperméable à leur discours.
La clĂ© du mystĂšre : lâextrĂȘme droite japonaise nâa pas besoin de conquĂ©rir le pouvoir : une partie de ses idĂ©es ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© absorbĂ©es par les Ă©lites conservatrices du pays. Pas besoin de crĂ©er une rĂ©volution si le systĂšme vous offre dĂ©jĂ une place au chaud.
Mais cette stratĂ©gie a aussi un prix. En Ă©vitant de sâorganiser de maniĂšre autonome, lâultra-droite reste condamnĂ©e Ă lâombre du PLD, sans visibilitĂ© claire, sans programme fort, et sans base militante cohĂ©rente.
LâextrĂȘme droite nâa pas disparu au Japon. Elle rĂŽde, sâexprime, influence parfois. Mais elle nâa jamais rĂ©ussi Ă fĂ©dĂ©rer, ni Ă mobiliser massivement. Entre institutions solides, culture de lâharmonie, traumatisme historique et systĂšme Ă©lectoral verrouillĂ©, elle reste contenue.
Tant que le Japon prĂ©fĂ©rera la stabilitĂ© au coup dâĂ©clat, la nuance au bruit, la continuitĂ© au chaos⊠le pouvoir restera aux modĂ©rĂ©s.
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