DĂ©couvrez l’histoire d’une visite au Japon qui nous parle aujourd’hui de dĂ©sillusion, entre dĂ©fis culturels et remises en question.
Je mâappelle Sofia, et jâai rencontrĂ© Paul il y a 3 ans lors dâun voyage Ă Kyoto, dans un de ces petits cafĂ©s que seul cette ville Ă le secret.
Ă lâĂ©poque, jâĂ©tais en plein questionnement sur une potentielle vie au Japon. J’avais quittĂ© la France pour un voyage au travers l’Asie avec une soif dâaventure, dâĂ©vasion, et de dĂ©couverte. CâĂ©tait mon rĂȘve, depuis que je suis toute petite.
Et pourtant, ce soir-lĂ , en discutant avec Paul, quelque chose en moi a changĂ©. Il mâa ouvert les yeux sur une vĂ©ritĂ© que je refusais de voir : parfois, mĂȘme nos plus grands rĂȘves finissent par nous Ă©chapper.
Paul, câest ce Belge qui, comme moi, avait dĂ©cidĂ© de visiter l’Asie. Lui avait dĂ©cidĂ© de sâinstaller au Japon et nous partagions une passion commune pour ce pays. Lui, il y Ă©tait dĂ©jĂ depuis six ans, moi Ă peine deux mois. Il parlait couramment japonais, travaillait dans une entreprise japonaise, et avait obtenu son N1 avec fiertĂ©.
Jâadmirais son dĂ©vouement Ă cette langue si complexe, sa capacitĂ© Ă sâintĂ©grer dans une culture qui, bien que fascinante, pouvait aussi ĂȘtre incroyablement exigeante. Ă lâĂ©poque, il semblait avoir tout rĂ©ussi, tout accompli. Mais cette nuit-lĂ , je me suis rendue compte quâil se trouvait dans une impasse.
Il mâa racontĂ© comment, petit Ă petit, ce qui autrefois le faisait vibrer avait commencĂ© Ă perdre de son Ă©clat. « Tu sais, Sofia, voyager Ă travers le Japon me remplissait de bonheur avant. Chaque nouvelle ville, chaque nouveau temple… câĂ©tait magique. Mais maintenant, je ne ressens plus rien. Tout me semble… fade. » Il a pris une grande inspiration, comme sâil essayait de reprendre le contrĂŽle de ses Ă©motions. « Je crois que je suis fatiguĂ©. »
Paul ne parlait pas seulement du Japon. Il parlait de cette routine qui s’Ă©tait installĂ©e insidieusement, de ce travail dans une entreprise japonaise qui, bien quâimpressionnant sur le papier, lui pompait toute son Ă©nergie. Il mâa expliquĂ© comment son quotidien, autrefois source de fiertĂ© et dâexcitation, Ă©tait devenu source de stress et de frustration. « Utiliser le japonais tous les jours, câĂ©tait un dĂ©fi, et jâadorais ça au dĂ©but. Maintenant, je nâai plus envie. Je rĂȘve juste de pouvoir parler français ou anglais sans me prendre la tĂȘte. »
Et puis il y avait son partenaire. La personne pour qui il avait tout sacrifiĂ©, et qui lâavait rejoint au Japon pour enseigner le francais. Paul se sentait coupable. Il avait lâimpression de retenir celle quâil aimait, de lâempĂȘcher de sâĂ©panouir pleinement. « Je me demande si ĂȘtre ici, câest vraiment ce qui est le mieux pour nous deux, » mâa-t-il avouĂ© avec tristesse dans la voix.
En Ă©coutant Paul, jâai vu une partie de moi-mĂȘme dans son rĂ©cit. Moi aussi, jâavais ressenti cette dĂ©sillusion progressive, ce sentiment dâĂȘtre piĂ©gĂ©e dans un rĂȘve qui n’Ă©tait plus vraiment le mien. Mais Paul, lui, Ă©tait dĂ©jĂ Ă un carrefour dĂ©cisif. Il envisageait de partir, de quitter ce pays quâil avait tant aimĂ©, qui avait Ă©tĂ© son foyer pendant la majeure partie de sa vie dâadulte.
Le plus difficile pour lui, câĂ©tait de penser Ă lâaprĂšs. Retourner en Belgique ? Impensable. « La Belgique, câest trop froid, trop gris. Je ne me vois pas rentrer » mâa-t-il dit.
Je me suis retrouvĂ©e Ă lui donner des conseils que, peut-ĂȘtre, jâaurais dĂ» mâadresser Ă moi-mĂȘme. « Paul, tu sais, parfois, il faut juste accepter que les choses changent. Ce nâest pas un Ă©chec. On peut aimer profondĂ©ment un endroit, une culture, et pourtant sentir quâon nây appartient plus. Peut-ĂȘtre que partir, câest aussi une maniĂšre de se redĂ©couvrir. »
Pour Paul, quitter le Japon, ce nâĂ©tait pas juste tourner la page sur un chapitre de sa vie. CâĂ©tait renoncer Ă une partie de lui-mĂȘme, Ă ce rĂȘve dâenfant quâil avait tant chĂ©ri. Mais en mĂȘme temps, il savait quâil ne pouvait pas continuer comme ça, dans cet Ă©tat de fatigue et de lassitude.
Ce soir-lĂ , en rentrant chez moi, je nâai pas pu mâempĂȘcher de repenser Ă notre conversation. Le Japon a cette capacitĂ© Ă envoĂ»ter, Ă captiver. Mais il peut aussi devenir un poids pour ceux qui, comme Paul et moi, se sont laissĂ©s emporter par la beautĂ© de ce rĂȘve sans se demander ce que nous voulions vraiment, au fond de nous.
Je ne sais pas encore si Paul partira finalement. Peut-ĂȘtre quâil trouvera un nouvel Ă©quilibre ici, ou peut-ĂȘtre quâil sâenvolera vers de nouveaux horizons. Ce que je sais, câest que son histoire mâa appris quelque chose dâessentiel : il nây a pas de honte Ă changer de cap. MĂȘme si cela signifie quitter un pays, un rĂȘve, que lâon pensait ĂȘtre notre destinĂ©e.
Aujourd’hui, je vis avec Paul Ă MontrĂ©al. La transition nâa pas Ă©tĂ© facile, quitter lâAsie, abandonner le rĂȘve de mâinstaller au Japon, mais au fond, cela mâa permis de dĂ©couvrir une autre part de moi-mĂȘme. Je nâai pas renoncĂ© Ă mon amour pour le Japon mais le Canada mâa offert une nouvelle perspective, un espace oĂč je peux grandir avec Paul.
Ici, nous avons trouvĂ© un Ă©quilibre entre nos envies dâaventure et notre besoin de paix et de simplicitĂ©.
MontrĂ©al est un endroit oĂč la nature rencontre aussi une autre forme de modernitĂ©. Nous passons nos week-ends Ă explorer les forĂȘts, Ă nous perdre dans les sentiers, ou Ă simplement profiter de la tranquillitĂ© sans pression, sans nostalgie inutile.
En repensant Ă notre premier Ă©change Ă Kyoto, je me rends compte que nous Ă©tions tous deux Ă la croisĂ©e des chemins, Ă la recherche de nous-mĂȘmes. Aujourd’hui, nous avons choisi un chemin commun, et câest ce qui rend ce voyage encore plus beau.
Quitter un rĂȘve ne signifie pas l’abandonner, cela veut parfois dire en crĂ©er un nouveau, plus alignĂ© avec qui nous sommes devenus. Et c’est ce que nous avons fait, Paul et moi !
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