⚡ Le Japon relance la centrale de Kashiwazaki-Kariwa

Un choix technique, stratégique, mais surtout hautement symbolique dans un pays encore marqué par la catastrophe de Fukushima.

Japon relance la centrale de Kashiwazaki-Kariwa

Kashiwazaki-Kariwa est un miroir dérangeant de nos attentes contradictoires : nous voulons une électricité propre, bon marché, disponible à tout moment, mais nous voulons aussi zéro risque. Un équilibre quasi impossible…

Située dans la préfecture de Niigata, face à la mer du Japon, Kashiwazaki-Kariwa aligne sept réacteurs pour une puissance totale de plus de 8 000 MW. Cette centrale, exploitée par Tepco – l’entreprise tristement célèbre pour avoir opéré Fukushima – est restée à l’arrêt depuis plus d’une décennie.

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Le 21 novembre 2025, un tournant a été pris. Le gouverneur de Niigata, Hideyo Hanazumi, a donné son feu vert pour un redémarrage partiel. Deux réacteurs sont concernés, les numéros 6 et 7, pour une puissance combinée d’environ 2 710 MW. Ce redémarrage n’est pas encore acté : il doit recevoir l’aval de l’assemblée préfectorale en décembre, et passer les dernières étapes de validation de l’Autorité de régulation nucléaire japonaise. Mais le signal est clair : le Japon est prêt à remettre le nucléaire de Tepco dans la boucle.

Le poids encore brûlant de Fukushima

Remettre en route une centrale nucléaire au Japon, ce n’est jamais anodin. Le souvenir du 11 mars 2011 reste vivace : un séisme de magnitude 9, suivi d’un tsunami, avait provoqué l’inondation et la fusion des cœurs à la centrale de Fukushima Daiichi. Plus de 150 000 personnes avaient dû évacuer. Dans les mois qui ont suivi, l’ensemble des réacteurs du pays ont été arrêtés, l’opinion publique s’est profondément retournée contre Tepco et le nucléaire, et les règles de sûreté ont été entièrement réécrites.

Depuis, le pays a timidement redémarré 14 réacteurs sur 33 jugés techniquement opérables, mais aucun n’appartenait jusqu’ici à Tepco. Kashiwazaki-Kariwa serait donc le premier retour de l’opérateur sur le terrain du nucléaire civil. Et cela ne manque pas de faire frémir une partie de la population, d’autant plus que cette même centrale avait déjà été mise à l’arrêt en 2007 après un séisme ayant révélé des failles dans sa résistance.

Une population divisée

À Niigata, la décision du gouverneur ne passe pas inaperçue. Un sondage récent montre une région littéralement coupée en deux. La moitié des habitants se disent favorables au redémarrage, tandis que 47 % s’y opposent, et près de 70 % expriment leur inquiétude face au fait que Tepco soit aux commandes.

La situation est emblématique des tiraillements du Japon post-Fukushima. Pour certains, relancer Kashiwazaki-Kariwa, c’est retrouver des emplois, des recettes fiscales et une sécurité énergétique dans une région souvent laissée de côté. Pour d’autres, c’est vivre avec une peur permanente : celle de devoir, un jour, tout abandonner à nouveau en cas d’alerte.

Le symbole Tepco pèse lourd. L’entreprise continue de financer le démantèlement de Fukushima, une opération qui durera encore plusieurs décennies et qui lui a déjà coûté des milliers de milliards de yens en indemnisations. Difficile, dans ce contexte, de tourner la page sereinement.

Tokyo pousse

Ce retour au nucléaire n’a rien d’un caprice nostalgique. Il répond à une équation énergétique devenue intenable. Depuis l’arrêt du parc nucléaire, le Japon s’est massivement tourné vers le charbon, le gaz naturel liquéfié (GNL) et le pétrole. Ces énergies fossiles représentent aujourd’hui 60 à 70 % de la production électrique. Le tout à coup d’importations, dans un contexte de prix internationaux en forte hausse, aggravé par la guerre en Ukraine et la faiblesse du yen.

Le coût énergétique est devenu un fardeau pour l’économie japonaise. Relancer Kashiwazaki-Kariwa permettrait de produire localement une grande quantité d’électricité décarbonée, à moindre coût, et donc de réduire la facture énergétique nationale.

En parallèle, Tokyo affiche des ambitions climatiques claires : atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, avec une part du nucléaire autour de 20 % d’ici les années 2030-2040. Le redémarrage de cette centrale devient ainsi un levier important dans cette stratégie. Il est présenté comme un outil de décarbonation, un stabilisateur des prix pour les ménages, et un message de constance envoyé aux investisseurs : le Japon ne compte pas renoncer au nucléaire.

Tepco peut-elle regagner la confiance ?

C’est la question centrale. Tepco affirme avoir tiré les leçons de Fukushima. Depuis, la NRA impose des standards de sûreté drastiques. Kashiwazaki-Kariwa a été largement renforcée : alimentation électrique de secours, protections contre les tsunamis, résistance sismique… tout a été revu.

Et pourtant, les incidents de gestion continuent de ternir son image. En novembre 2025 encore, la NRA a pointé plusieurs dysfonctionnements : mauvaise gestion de documents confidentiels, transmission accidentelle à un sous-traitant, stockage inapproprié… Rien de catastrophique en soi, mais des erreurs qui tombent mal quand on prétend à la rigueur absolue. La population ne voit pas un système infaillible, mais une entreprise qui, malgré les promesses, reste faillible.

Hanazumi, un virage politique sous pression

Élu en 2018 sur une ligne de prudence envers le nucléaire, Hideyo Hanazumi a longtemps demandé plus de garanties avant tout redémarrage. Évaluation des risques, plans d’évacuation solides, transparence de Tepco… Tels étaient ses engagements.

Mais en 2025, il opère un tournant. S’il pose des conditions, son feu vert reste un geste politique fort. Il incarne la pression croissante venue de Tokyo, mais aussi les réalités économiques locales. Face à une population qui peine à payer ses factures, aux pressions budgétaires et au besoin d’investissements, la centrale redevient un atout incontournable.

Son revirement montre aussi que le redémarrage de Kashiwazaki-Kariwa n’est pas seulement une décision énergétique. C’est un test politique. Jusqu’où l’État peut-il pousser le retour du nucléaire dans un pays qui n’a jamais vraiment digéré Fukushima ?

Où en est-on aujourd’hui, et que peut-il encore se passer ?

Le feu vert du gouverneur est officiel, mais ce n’est qu’une étape. L’assemblée préfectorale de Niigata doit encore se prononcer, théoriquement en phase avec la ligne Hanazumi. Côté technique, la NRA a déjà levé une grande partie des restrictions, mais reste vigilante sur les derniers aspects liés à la sécurité et aux risques terroristes.

Plusieurs scénarios sont envisagés pour le redémarrage. Dans le meilleur des cas, une relance industrielle pourrait avoir lieu dès 2026. Mais des experts restent prudents et évoquent des délais allant jusqu’à 2029, notamment à cause des exigences liées à la sécurité. Chaque nouvel incident, même mineur, peut entraîner des mois de retard.

Entre traumatisme et pragmatisme

Le retour de Kashiwazaki-Kariwa pose une question fondamentale : un pays peut-il renouer avec le nucléaire après une catastrophe comme Fukushima, alors même que la crise climatique rend chaque kilowattheure bas-carbone crucial ?

Le Japon tente de répondre oui, mais avec prudence. Il mise sur un retour progressif, en sélectionnant les réacteurs les plus sûrs, en gardant une forte part de charbon et de gaz en soutien, et en essayant de développer les énergies renouvelables, même si leur potentiel reste sous-exploité.

Pour les opposants, relancer cette centrale revient à nier Fukushima. Pour les partisans, c’est au contraire la preuve que le pays assume enfin une forme de pragmatisme énergétique. Et pour de nombreux habitants de Niigata, c’est un mélange d’angoisse, d’espoir et de résignation. Le Japon appuie sur le bouton « ON » en croisant les doigts.

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Auteur/autrice : Louis Japon

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