Lâhistoire de lâargent au Japon, de son extraction Ă son rĂŽle dans le commerce international, illustre bien lâĂ©volution de lâarchipel.

Ce rĂ©cit couvre des siĂšcles de dĂ©couvertes miniĂšres, dâinnovations technologiques et de liens commerciaux qui ont connectĂ© le Japon aux grandes puissances de lâAsie et de lâEurope.
đïž GenĂšse de lâexploitation de lâargent au Japon
Les premiĂšres activitĂ©s miniĂšres au Japon remontent Ă lâAntiquitĂ©, avec un intĂ©rĂȘt initial pour lâor, le cuivre et le fer. Bien que peu documentĂ©e, lâexploitation de lâargent semble avoir dĂ©butĂ© Ă lâĂ©poque mĂ©diĂ©vale (pĂ©riodes Kamakura et Muromachi). Cependant, les archives historiques de cette Ă©poque sont lacunaires, ce qui rend difficile une estimation prĂ©cise de la production.
Entre le XIVá” et le XVIá” siĂšcle, lâĂ©poque Muromachi voit un essor notable des techniques miniĂšres et mĂ©tallurgiques. Les seigneurs locaux (daimyĂŽ) jouent un rĂŽle clĂ© en encourageant lâextraction des ressources, posant les bases dâune exploitation accrue au cours des pĂ©riodes suivantes.

đ LâĂąge dâor de lâargent japonais : Sengoku et dĂ©but dâEdo
Durant lâĂ©poque Sengoku (milieu du XVá” – fin du XVIá” siĂšcle), marquĂ©e par des guerres civiles entre clans rivaux, le contrĂŽle des mines dâargent devient stratĂ©gique.
Lâargent finance les armĂ©es et permet dâacquĂ©rir des armes Ă feu europĂ©ennes, introduites par les Portugais. Ce mĂ©tal prĂ©cieux attire Ă©galement des marchands Ă©trangers, stimulants les Ă©changes commerciaux.
Les mines d’argent japonaises emblĂ©matiques
- Iwami Ginzan (Shimane) : DĂ©couverte au dĂ©but du XVIá” siĂšcle, cette mine devient rapidement une des principales sources dâargent mondial, grĂące Ă des techniques de fusion avancĂ©es. Elle est aujourdâhui classĂ©e au patrimoine mondial de lâUNESCO.
- Sado Kinzan (Niigata) : Connue pour son exploitation combinĂ©e de lâor et de lâargent, cette mine devient une source majeure de revenus pour le shogunat Tokugawa au dĂ©but de lâĂ©poque Edo. Elle est aujourdâhui un site touristique et historique.
Ces mines symbolisent lâĂąge dâor de lâextraction miniĂšre japonaise et lâingĂ©niositĂ© des artisans de lâĂ©poque.
đ Lâargent japonais dans le commerce international
Ăchanges avec la Chine
Sous la dynastie Ming (1368-1644), la Chine adopte progressivement un systĂšme monĂ©taire axĂ© sur lâargent-mĂ©tal, en rĂ©action Ă lâaffaiblissement du papier-monnaie (le chao).
Face Ă une forte demande intĂ©rieure pour ce mĂ©tal, la Chine se tourna vers plusieurs producteurs, dont le Japon. Des marchands chinois se rendaient rĂ©guliĂšrement dans lâarchipel, Ă©changeant soieries, porcelaines et produits de luxe contre de lâargent japonais rĂ©putĂ© pour sa grande puretĂ©. Les transferts dâargent prenaient aussi des chemins indirects, via les royaumes intermĂ©diaires comme RyĆ«kyĆ« ou Joseon en CorĂ©e, consolidant la place de lâargent japonais dans les Ă©changes sino-japonais.
Ă Nagasaki, lâinfluence des marchands chinois sâaccrut grĂące aux jonques privĂ©es qui accostaient frĂ©quemment dans le port et Ă lâautorisation accordĂ©e Ă certains dâentre eux de rĂ©sider dans des quartiers dĂ©diĂ©s. Ces flux de mĂ©taux prĂ©cieux renforcĂšrent lâĂ©conomie des ports chinois tout en stimulant lâĂ©mergence de communautĂ©s marchandes structurĂ©es au Japon.
Le commerce Nanban : les Portugais et Espagnols
LâarrivĂ©e des Portugais en 1543, puis des Espagnols, inaugura le « commerce Nanban » (ćèźèČżæ, « commerce avec les barbares du Sud »). Dans ce contexte, lâargent japonais sâimposa rapidement comme un acteur central des relations entre lâarchipel et les puissances ibĂ©riques en Asie.

Les Espagnols, installĂ©s Ă Manille dĂšs 1565, avaient besoin de quantitĂ©s importantes dâargent pour acheter en Chine des soieries, porcelaines et diverses marchandises trĂšs prisĂ©es en Europe. Bien quâils disposassent dĂ©jĂ des mines amĂ©ricaines de PotosĂ (PĂ©rou) et Zacatecas (Mexique), la demande chinoise sâavĂ©ra si considĂ©rable quâils complĂ©taient leurs cargaisons avec de lâargent issu du Japon.
De leur cĂŽtĂ©, les Portugais sâĂ©tablirent Ă Nagasaki, quâils transformĂšrent vite en principal point dâaccĂšs au Japon. Ils y importaient notamment des armes Ă feu, des textiles et du vin, tout en profitant du commerce de lâargent japonais vers Macao, leur base en Chine mĂ©ridionale, pour rĂ©aliser dâimportants bĂ©nĂ©fices.
Dans le prolongement de ces Ă©changes, les missionnaires jĂ©suites introduisirent le christianisme, un phĂ©nomĂšne soutenu financiĂšrement par lâargent et qui suscita lâintĂ©rĂȘt de certains seigneurs locaux, tout en accentuant les tensions avec les autoritĂ©s japonaises.
Les Néerlandais et le monopole de Dejima
Au dĂ©but de lâĂ©poque Edo, prĂ©occupĂ© par lâinfluence Ă©trangĂšre, le shogunat Tokugawa mit en Ćuvre une politique de fermeture stricte du pays (sakoku) Ă partir de 1639, chassant les Portugais et rĂ©duisant drastiquement les Ă©changes internationaux.
Les NĂ©erlandais, reprĂ©sentĂ©s par la Compagnie nĂ©erlandaise des Indes orientales (VOC), furent alors les seuls EuropĂ©ens Ă bĂ©nĂ©ficier dâune autorisation de commerce officiel, cantonnĂ©s dans lâenclave de Dejima, Ă Nagasaki. MalgrĂ© les quotas et licences imposĂ©s pour freiner les sorties dâargent et prĂ©server la stabilitĂ© monĂ©taire, le Japon demeura lâun des principaux fournisseurs dâargent en Asie grĂące aux activitĂ©s de la VOC et des marchands chinois toujours prĂ©sents Ă Nagasaki.
Cet argent permettait lâacquisition dâĂ©pices et de produits chinois comme le thĂ© ou la soie, ensuite redistribuĂ©s sur les marchĂ©s asiatiques et europĂ©ens.
Au-delĂ de la Chine, lâargent japonais circulait Ă©galement dans toute lâAsie du Sud-Est. On le retrouvait notamment Ă Malacca, Ă Java ou encore dans les Moluques, oĂč la VOC Ă©tait solidement Ă©tablie.
Les lingots et piĂšces dâargent du Japon faisaient office de monnaie dâĂ©change pour se procurer des Ă©pices telles que le poivre, le clou de girofle ou la noix de muscade, dont la revente Ă travers lâAsie ou en Europe permettait aux marchands de rĂ©aliser des profits considĂ©rables.
đ§ Innovations et travail dans les mines dâargent au Japon
Lâindustrie miniĂšre japonaise s’et dĂ©veloppĂ© grĂące Ă des innovations majeures, notamment :
- La maĂźtrise des techniques de coupellation : sĂ©paration de lâargent et du plomb par oxydation dans des fours Ă haute tempĂ©rature.
- Lâadoption de procĂ©dĂ©s de fusion avancĂ©s : utilisation dâinstallations en pierre ou en cĂ©ramique, plus efficaces que les fours rudimentaires.
- Les Ă©changes technologiques : bien que limitĂ©s, le contact avec les marchands et missionnaires Ă©trangers (chinois, corĂ©ens, portugais, nĂ©erlandais) permit dâintroduire ou de perfectionner certaines mĂ©thodes dâextraction et de purification.
La plupart des grands sites miniers Ă©taient contrĂŽlĂ©s par les daimyĂŽ ou, sous lâĂ©poque Edo, directement par le shogunat Tokugawa (tenryĆ). Des gestionnaires (yamashi) supervisaient les opĂ©rations, mettant en place une hiĂ©rarchie stricte pour rĂ©partir les rĂŽles : extraction, transport, coupellation, frappe Ă©ventuelle de monnaies, etc.
Cette division du travail nĂ©cessitait une main-dâĆuvre importante, souvent composĂ©e de populations locales et de travailleurs spĂ©cialisĂ©s.
đ DĂ©clin et hĂ©ritage
Ă partir du XVIIIá” siĂšcle, plusieurs mines sâĂ©puisent, tandis que de nouveaux producteurs Ă©mergent ailleurs dans le monde.
Le Japon devient moins compĂ©titif, et lâargent perd progressivement son rĂŽle central dans lâĂ©conomie nationale.
Lors de la restauration de Meiji, lâexploitation miniĂšre est modernisĂ©e avec lâaide dâingĂ©nieurs Ă©trangers. Cependant, dâautres secteurs comme le charbon et la sidĂ©rurgie deviennent prioritaires dans lâeffort de rattrapage industriel face Ă lâOccident.
Aujourdâhui, les anciennes mines dâargent sont valorisĂ©es comme des sites historiques et touristiques.
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