🎭 Ran : Fresque épique et chaos absolu

Avec Ran, Kurosawa signe une fresque à la fois funèbre et flamboyante, une tragédie où le destin broie inexorablement chaque protagoniste.

Ran film japonais

Il est des films qui marquent à jamais, des œuvres qui emportent le spectateur dans un tourbillon de beauté et de fureur. Ran (1985), chef-d’œuvre d’Akira Kurosawa, en fait partie.

Inspiré du Roi Lear de Shakespeare, ce film monumental est une explosion visuelle et émotionnelle où le chaos se fait poésie, où le destin se déchaîne sans pitié. Kurosawa y peint l’agonie d’un monde en flammes avec la précision d’un maître, nous laissant face à un spectacle d’une puissance inouïe.

🏯 Le Roi Lear revisité : tragédie universelle au cœur du Japon médiéval

Akira Kurosawa n’en est pas à son premier dialogue avec Shakespeare. Après Le Château de l’araignée (Macbeth) et Les Salauds dorment en paix (Hamlet), il s’empare ici du Roi Lear et le transpose dans le Japon féodal.

L’histoire est celle de Hidetora Ichimonji, un vieux seigneur qui abdique en faveur de ses trois fils. Mais ce choix, loin d’apporter la paix, déclenche une série de trahisons et de guerres fratricides. Ce drame familial devient une allégorie plus large : celle de la folie du pouvoir, de la cruauté humaine et du destin implacable.

Si la structure du récit rappelle la pièce de Shakespeare, Kurosawa l’imprègne de son propre génie. Le Japon médiéval qu’il dépeint est un univers de cendres et de sang, où les rivalités familiales se fondent dans une guerre totale. La tragédie de Lear trouve ici un écho décuplé par la rudesse d’un monde où les âmes se consument comme les plaines embrasées par les batailles.

🎨 Quand la beauté épouse l’apocalypse

Ran, qui signifie « chaos », porte bien son nom. Kurosawa, peintre avant d’être cinéaste, compose chaque plan comme une toile de maître. Les couleurs flamboyantes des costumes – jaune, rouge, bleu – tranchent avec les paysages austères et les cendres des combats. L’image devient une fresque vivante où la beauté et l’horreur s’entrelacent.

Les batailles, orchestrées avec une précision chirurgicale, atteignent des sommets de poésie macabre. La scène de la prise du troisième château est un moment d’anthologie : le vacarme du combat disparaît, remplacé par un silence assourdissant, où seules les images parlent. Un château en flammes, un vieillard errant dans la fumée, un océan de cadavres. Kurosawa filme non pas la guerre, mais l’effondrement d’un monde.

La musique de Tōru Takemitsu accompagne ce chaos avec une intensité tragique. Mélange de percussions sourdes et de silences pesants, elle rythme la chute inexorable des personnages et amplifie l’impression de fatalité qui pèse sur eux.

⚔ Hidetora, Saburo et la roue du destin

Au centre de Ran, il y a Hidetora, seigneur vieillissant qui croyait pouvoir léguer son pouvoir sans conséquences. Mais le passé ne pardonne pas. Ce qu’il a bâti dans la violence lui revient en plein visage : trahison, déchéance, errance.

Ses trois fils, loin d’être unis, incarnent des destinées opposées :

  • Taro, l’aîné, assoiffé de pouvoir et arrogant.
  • Jiro, ambitieux et manipulateur, qui finira broyé par son propre jeu.
  • Saburo, le benjamin, seul lucide mais rejeté par un père trop fier.

À cette tragédie familiale s’ajoute le personnage fascinant de Dame Kaede, figure démoniaque de vengeance et de manipulation, qui tire les fils de la destruction. Face à elle, Dame Sué incarne la pureté et le pardon, mais dans un monde où la bonté est une faiblesse, elle est condamnée d’avance.

Dans cet engrenage fatal, Kurosawa ne désigne pas de coupable unique. Hidetora a semé la tempête qu’il récolte, mais ses fils sont eux-mêmes prisonniers d’un système où la violence est la seule monnaie d’échange. La roue du karma tourne inexorablement, écrasant tout sur son passage.

🎭 Une mise en scène entre minimalisme et démesure

Kurosawa alterne les plans larges et les gros plans avec une maîtrise sidérante. Un simple regard, un silence, un visage ravagé par la folie en disent parfois plus long qu’un champ de bataille entier.

La caméra suit Hidetora dans sa déchéance, le montrant d’abord en seigneur tout-puissant, puis en vieillard errant, visage blanchi par la peur et le chagrin. Son interprète, Tatsuya Nakadai, livre une performance hallucinée, passant de la majesté à la folie avec une intensité rare.

À l’inverse, les scènes de guerre sont d’une ampleur époustouflante. Kurosawa filme la bataille comme une danse macabre : mouvements de troupes millimétrés, couleurs des armures tranchant avec le ciel gris, chevaux affolés fuyant le carnage. Tout semble réglé comme une partition symphonique… jusqu’à l’explosion finale du chaos.

Le dernier plan de Ran est l’un des plus bouleversants du cinéma : Tsurumaru, le frère aveugle de Dame Sué, vacille au bord du vide, perdu dans un monde où plus rien n’a de sens. Ce plan dit tout : l’absurdité du pouvoir, la futilité des guerres, la solitude des survivants. Ran n’offre ni espoir ni rédemption, seulement la constatation amère que le chaos finit toujours par tout engloutir.

Avec sa virtuosité visuelle, sa réflexion implacable sur le pouvoir et le destin, Ran s’impose comme un sommet du cinéma. Une fresque où le chaos n’est pas seulement sur l’écran, mais en nous. Une tragédie dont l’écho résonne longtemps après que la dernière image se soit évanouie.

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