Découvrons l’histoire de l’ohaguro (お歯黒), une pratique ancestrale qui, derrière sa teinte profonde, révèle bien plus qu’une mode.

Et si un sourire noir était autrefois le summum du chic ?
Loin des standards occidentaux où des dents éclatantes sont synonymes de beauté et de santé, le Japon a longtemps vu dans leur noircissement un art, un rite et une déclaration sociale.
✨ Un sourire noir, mille symboles
En Europe, des dents noires peuvent évoquer un manque d’hygiène. Mais au Japon classique, elles étaient un emblème de raffinement, de maturité et d’honneur. L’ohaguro, qui consistait à teindre les dents en noir, fut pratiqué pendant plus de mille ans, avant d’être interdit en 1870 par le gouvernement Meiji, soucieux d’occidentalisation.
Imaginez : au fil des siècles, ce sourire noir a traversé toutes les couches de la société, évoluant de l’aristocratie aux classes populaires, toujours chargé de symboles.
🏯 Une tradition millénaire
Les premières preuves de l’ohaguro remontent à l’époque Kofun (IIIᵉ–VIᵉ siècles), avec des ossements et figurines haniwa aux dents noires. À l’époque Heian (794-1185), la noblesse adopte la pratique, hommes et femmes confondus, dans le cadre de rites de passage à l’âge adulte.
Au fil des ères, la pratique évolue :
- Muromachi/Sengoku : rite précoce pour préparer les jeunes filles à un mariage.
- Edo : les femmes mariées, geisha et travailleuses des quartiers de plaisir y recourent.
- Meiji : tournant radical — l’ohaguro est interdit en 1870. Il tombe peu à peu dans l’oubli.
🧪 De la cuisine à la chimie : comment noircir ses dents ?
L’ohaguro n’était pas un simple maquillage : c’était un procédé techniquement élaboré, proche de l’alchimie.
Les ingrédients du sourire noir :
- Kanemizu (かねみず) : un bain de fer (limaille) trempé dans du vinaigre et du thé ou du saké → production d’acétate de fer.
- Fushi (五倍子) : galles de sumac riches en tanins, qui réagissent avec le fer pour produire un noir profond.
Résultat : un vernis noir, hydrophobe, à appliquer tous les 1 à 3 jours. L’odeur ? Un mélange assez… corsé de thé, vinaigre et métal.
L’art du maquillage dentaire
Dans les maisons aisées, on possédait de véritables sets spécialisés : bassins, plateaux, boîtes, pinceaux fins et chauffettes. Certains musées japonais en conservent encore, témoins d’un savoir-faire minutieux.
💄 Beauté, statut, rite : à quoi servait l’ohaguro ?
L’ohaguro, ce n’était pas qu’une coquetterie. Il portait de nombreux messages :
Fonction | Rôle social |
---|---|
Esthétique | Le noir était signe de raffinement (cheveux, laque, tissus). Les dents noires complétaient cette harmonie. |
Statutaire | Dents noires = femme mariée, donc indisponible. Une annonce claire, visible d’un simple sourire. |
Rituel | Utilisé lors du genpuku (majorité masculine) et mogi (féminine), mais aussi à la cour, comme symbole de maturité. |
🎥 L’ohaguro dans la culture pop
Aujourd’hui, l’ohaguro hante encore les imaginaires — parfois avec humour, parfois avec effroi.
- Ghibli, dans Le Conte de la princesse Kaguya, montre une scène symbolique où l’héroïne refuse le noircissement des dents : rejet de la pression sociale.
- Le yokai Ohaguro-Bettari, au visage lisse et dents noires, surgit dans le folklore japonais : une critique horrifique du carcan esthétique.
🧫 Une protection dentaire avant l’heure ?
Au-delà de l’apparence, la science moderne redécouvre les vertus protectrices de l’ohaguro. Des études indiquent que :
- Le film ferrique formé sur l’émail réduit la déminéralisation.
- Les tanins ont un effet antibactérien, limitant la formation de biofilm.
- Les enfants porteurs de taches noires extrinsèques (black stain) présentent moins de caries.
Bien sûr, ce n’est pas un remède miracle — mais les résultats sont assez sérieux pour être étudiés par la recherche actuelle.
👘 Où voir l’ohaguro aujourd’hui ?
S’il a presque disparu, l’ohaguro subsiste encore dans quelques contextes :
- Sur scène : théâtre kabuki, films d’époque.
- Chez les geisha : certaines maiko, à Kyoto, se noircissent encore les dents lors du passage à l’âge adulte (période sakkō).
- Dans les musées : objets, accessoires et documentations historiques.
🎎 Pourquoi cette fascination contemporaine ?
Parce que l’ohaguro est un miroir. Il reflète les normes esthétiques, les rapports de pouvoir sur les corps, mais aussi l’ingéniosité d’un peuple qui, bien avant l’orthodontie et les brosses électriques, inventait un vernis protecteur pour ses dents.
C’est aussi une manière de repenser la beauté autrement : là où l’Occident glorifie le blanc éclatant, le Japon d’autrefois trouvait sa grâce dans la profondeur du noir. Un choix esthétique, mais aussi culturel, résolument à contre-courant.
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