Découvrons ensemble cette histoire singulière, entre coton, soja et frontières oubliées.

Lorsqu’on évoque la présence japonaise en Amérique latine, ce sont les métropoles de São Paulo, Lima ou parfois Buenos Aires qui viennent immédiatement à l’esprit.
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Pourtant, au cœur du Paraguay, une communauté discrète mais influente de descendants japonais les nikkei ; a profondément marqué l’histoire agricole, économique et sociale du pays. Leur parcours est emblématique des grandes dynamiques du XXᵉ siècle : colonisation rurale, migrations forcées, guerres mondiales, et mondialisation agricole.
🗺️ Un pays nikkei que l’on oublie souvent
L’émigration japonaise de masse commence à la fin du XIXᵉ siècle, principalement vers Hawaï, les États-Unis, puis le Brésil. Mais dans les années 1930, face à la montée de la xénophobie au Brésil et à la saturation migratoire, le Japon se tourne vers un autre partenaire plus discret : le Paraguay.
Pays enclavé, peu peuplé, marqué par des conflits sanglants, le Paraguay cherche alors à attirer des colons pour mettre en valeur ses terres « vacantes ». L’accord signé en 1936 entre Tokyo et Asunción ouvre officiellement les portes à l’immigration japonaise.
C’est ainsi que naît La Colmena, première colonie agricole japonaise du pays. Située à environ 130 km au sud de la capitale, elle devient le laboratoire d’une expérience coloniale qui mêle discipline agricole, cultures d’exportation (coton en tête) et lutte contre l’isolement.
⚔️ Seconde Guerre mondiale : rupture brutale
La guerre interrompt brutalement cette dynamique. Le Japon devient ennemi dans le conflit mondial, et les colons de La Colmena perdent tout soutien : plus de crédits, plus de transfert technique, et une suspicion généralisée. Isolée, la communauté survit en s’appuyant sur l’agriculture de subsistance et l’entraide locale.
Ce repli forcé posera pourtant les bases d’une résilience communautaire étonnante, qui ressurgira avec force quelques années plus tard.
🌱 Années 1950–60 : nouvelle vague migratoire et conquête de l’Est
Après la guerre, le Japon désormais en reconstruction relance sa politique d’émigration, tandis que le Paraguay veut coloniser l’Est du pays, en direction du Brésil. Une série de colonies japonaises naît alors : Federico Chávez, Fram, Fuji, La Paz, Pirapó, Yguazú…
Leur objectif est double : ouvrir des fronts agricoles et sécuriser les frontières.
Cette nouvelle phase est marquée par une forte structuration : les colons arrivent avec des compétences techniques avancées, une culture coopérative bien ancrée et une volonté d’expérimenter. Le coton reste au programme, mais le soja et le blé prennent rapidement le relais. Ce sont ces cultures qui feront du Paraguay un géant de l’agro-exportation.
🚜 De pionniers agricoles à puissances coopératives
Ce qui distingue les colonies japonaises, c’est leur modèle : des coopératives puissantes, une mécanisation rapide et une organisation sociale centrée sur la production et la communauté. Grâce au soutien de la JICA (coopération japonaise), ces colonies deviennent des pôles agricoles exemplaires.
Des localités comme Pirapó ou La Paz s’imposent dans le paysage économique par leur productivité, leur discipline et leur intégration dans les chaînes d’exportation.
Mais cette réussite n’est pas sans conséquences.
🌳 Modernisation agricole… et destruction environnementale
La montée en puissance du modèle agricole nikkei se fait au prix d’une déforestation massive dans la région orientale du Paraguay. Forêts rasées, sols appauvris, pesticides omniprésents… Le modèle intensif s’impose, au détriment de l’agriculture vivrière et des communautés rurales.
Les colonies japonaises ne sont pas seules en cause – les agricultures brésiliennes ou mennonites jouent aussi un rôle – mais elles s’insèrent dans une dynamique extractiviste dont les effets environnementaux sont aujourd’hui vivement critiqués.
Malgré leur nombre réduit (environ 10 000 personnes), les nikkei du Paraguay ont bâti une structure communautaire solide : coopératives, écoles de langue japonaise, festivals culturels, clubs de football ou de volley-ball. Ces infrastructures ont permis une transmission culturelle forte, notamment jusqu’à la deuxième génération (nisei).
Mais la mutation est en cours : les jeunes partent en ville, parfois au Japon comme travailleurs dekasegi ; les mariages mixtes se multiplient ; l’espagnol et le guaraní remplacent peu à peu le japonais. La communauté évolue, s’adapte, sans pour autant perdre complètement ses racines.
📚 Héritage et mémoire
Pour préserver cette histoire unique, deux institutions ont vu le jour : le Centro Nikkei Paraguayo, né dans les années 1980, et plus récemment le Centro de Identidad Nikkei Paraguaya, véritable micro-musée multimédia situé à Encarnación. Ces espaces témoignent du soin mis à documenter chaque étape de cette aventure migratoire.
Ils montrent aussi que cette communauté, si modeste soit-elle en nombre, possède une conscience aiguë de son rôle dans l’histoire du Paraguay moderne.
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