Les mathématiques sont souvent perçues comme un royaume de certitudes froides, une discipline où chaque ligne de preuve est gravée.
Mais parfois, elles se transforment en véritable saga humaine, faite d’ego, de malentendus et de polémiques. C’est exactement ce que nous raconte l’histoire fascinante (et déroutante) de Shinichi Mochizuki et sa fameuse « théorie inter-universale de Teichmüller » (IUT).
Un génie solitaire face à une conjecture mythique
Tout commence en 2012. À Kyoto, Shinichi Mochizuki publie quatre articles totalisant 500 pages, où il affirme avoir résolu la mystérieuse conjecture ABC. Une conjecture qui, depuis plus de 40 ans, intrigue les mathématiciens en liant de façon surprenante addition et multiplication dans les entiers.
Mais la méthode de Mochizuki n’a rien d’ordinaire : il déracine littéralement les objets arithmétiques pour les projeter dans des univers alternatifs. Là-bas, il en extrait des propriétés invisibles avant de revenir les injecter dans la conjecture. Une approche si radicale qu’elle semble sortie d’un roman de science-fiction.
Malgré le génie supposé, personne ou presque n’arrive à comprendre la démonstration. Pendant des années, la communauté internationale reste à l’écart, incapable de percer cet étrange labyrinthe.
Puis, en mars 2018, deux sommités de la théorie des nombres, Peter Scholze et Jakob Stix, viennent à Tokyo. Après une semaine de discussions intenses, ils identifient un point crucial — le fameux Corollaire 3.12 — qu’ils considèrent comme une faille si grave qu’elle ruinerait toute la preuve. Leur verdict est sans appel : « Il n’y a pas de preuve ».
Plutôt que de se rétracter, Mochizuki contre-attaque. Il affirme que ses détracteurs n’ont tout simplement pas compris son « univers » conceptuel. Il publie sa démonstration en 2021 dans une revue dont il est lui-même rédacteur en chef.
Résultat ? La communauté reste largement sceptique, et ce qui devait être une victoire historique se transforme en polémique mondiale.
L’entrée en scène de Kirti Joshi
Alors qu’on croyait l’affaire enterrée, un nouveau protagoniste fait son apparition : Kirti Joshi, professeur à l’Université de l’Arizona. En avril 2025, il publie un rapport retentissant intitulé Final Report on the Mochizuki‑Scholze‑Stix Controversy.
Joshi adopte une posture inédite : il critique à la fois Mochizuki et le duo Scholze–Stix. Il affirme pouvoir combler les zones floues, réparer le corollaire contesté, et, in fine, sauver la preuve. Il va même jusqu’à affirmer que les objections de Scholze et Stix sont « mathématiquement fausses » une fois son cadre en place.
La réponse ne tarde pas : Mochizuki balaye Joshi d’un revers de main, qualifiant ses travaux d’« ignorants » et sans intérêt mathématique. Scholze et Stix, de leur côté, restent silencieux mais visiblement non convaincus.
La communauté scientifique, déjà lassée, ne se précipite pas pour arbitrer. Une poignée d’experts suivent l’affaire, mais la majorité considère que la démonstration reste incomplète, voire irréparable.
Vers une solution automatisée ?
À ce stade, une issue semble se profiler : la vérification formelle automatisée, via des assistants de preuve. Cette technique, qui consiste à traduire chaque ligne d’argument en code vérifiable par une machine, pourrait trancher définitivement. Mais personne ne se risque à se lancer dans une telle entreprise, tant la complexité est vertigineuse.
Au-delà de la technique, cette saga nous rappelle que les mathématiques ne sont pas seulement un empilement de théorèmes glacés. Elles reflètent aussi nos passions, nos rivalités, nos fragilités. Derrière chaque démonstration, il y a des chercheurs, des émotions, des visions du monde — et parfois des clashs dignes des meilleurs drames littéraires.
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