Tout est parti du Hi no Maru, brandi par un Ă©tudiant dans une version âbarrĂ©eâ de noir lors dâun meeting politique.

Tout ressemble Ă une friction politique ordinaire : un rassemblement, des slogans, des contre-manifestants, un moment de provocation au milieu du bruit…
Sauf quâici, la droite nationaliste ne lit pas une critique de parti, elle lit un sacrilĂšge. Dans le rĂ©cit qui se met en place, ce nâest plus un Ă©tudiant qui proteste… câest âle Japonâ quâon insulte. Et quand un symbole est traitĂ© comme une personne, la tentation devient immĂ©diate : punir.
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Ce glissement est crucial, parce quâil change la question. On ne dĂ©bat plus dâun programme ou dâun slogan, on dĂ©bat dâun seuil de tolĂ©rance publique. Et quand le dĂ©bat devient un test de loyautĂ©, vous le sentez venir : la nuance recule, la sanction avance.
Fabriquer un crime dâintention
La proposition pousse une logique redoutablement commode pour un pouvoir : ne plus juger seulement un acte, mais lâintention supposĂ©e derriĂšre lâacte, ici âlâintention dâinsulterâ. Sur le papier, ça paraĂźt cadrĂ©. Dans la vraie vie, câest Ă©lastique.
Car une intention ne se mesure pas comme une dĂ©gradation matĂ©rielle. Elle sâinfĂšre, elle sâinterprĂšte, elle se devine au contexte, Ă la tĂȘte du manifestant, Ă la cause du jour, Ă la tension du moment. Vous nâavez mĂȘme pas besoin dâune avalanche de condamnations pour que ça marche: il suffit que le risque existe pour que certains gestes disparaissent, par prudence.
Lâargument dâapparence logique
Câest lĂ que la proposition se donne une allure de bon sens. Le Japon nâest pas dĂ©pourvu de texte, son Code pĂ©nal punit dĂ©jĂ lâatteinte⊠au drapeau dâun Ătat Ă©tranger. Lâarticle 92 prĂ©voit jusquâĂ deux ans dâemprisonnement avec travail ou une amende pouvant aller jusquâĂ 200.000 yens pour qui endommage, retire ou souille un emblĂšme national Ă©tranger âdans le but dâinsulterâ lâĂtat visĂ©, et il nây a poursuites quâĂ la demande du gouvernement concernĂ©.
La manĆuvre politique est alors presque automatique, prĂ©senter la nouvelle infraction comme une âcorrection dâasymĂ©trieâ. Sauf que lâarticle 92 est pensĂ© comme un pare-chocs diplomatique, un outil pour Ă©viter un incident international. Le transposer Ă lâintĂ©rieur, sans filtre diplomatique, change sa nature: on passe dâune gestion des relations entre Ătats Ă une police morale du dĂ©bat domestique.
Et si vous voulez replacer cette tension dans lâarchitecture dĂ©mocratique du pays, ce contexte aide Ă comprendre pourquoi le sujet est si sensible : Le Japon est-il vraiment une dĂ©mocratie ?.
Article 21
Face Ă ce rĂ©flexe punitif, lâobjection est directe, lâarticle 21 de la Constitution japonaise garantit la libertĂ© de rĂ©union, dâassociation, de parole, de presse et âtoutes les autres formes dâexpressionâ, et interdit la censure.
Un prĂ©cĂ©dent rĂ©cent a justement rappelĂ© que lâĂtat devait marcher sur des Ćufs dĂšs quâil touche Ă lâexpression politique. Dans lâaffaire dite des âyajiâ Ă Sapporo, des citoyens avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s par la police lors dâun discours Ă©lectoral en 2019 pour des interpellations bruyantes. La Cour suprĂȘme a confirmĂ© la finalisation dâune condamnation de lâautoritĂ© locale Ă indemniser, consolidant lâidĂ©e quâune intervention policiĂšre contre lâexpression en contexte politique exige une justification trĂšs Ă©levĂ©e.
Ă partir de lĂ , une question vous saute au visage, si crier une opposition peut ĂȘtre protĂ©gĂ©, pourquoi un geste symbolique, mĂȘme provocateur, serait-il automatiquement criminalisĂ©?
SanseitĆ nâa pas besoin dâĂȘtre majoritaire pour gagner une bataille culturelle. Il lui suffit de dĂ©placer le cadre, puis dâoffrir aux partis plus installĂ©s une sortie âdâordreâ facile Ă vendre. Et câest ce qui rend la sĂ©quence concrĂšte, des mĂ©dias ont rapportĂ© quâun accord politique entre le PLD et Ishin mentionne explicitement lâexamen, voire lâadoption, dâun dĂ©lit de dĂ©gradation du drapeau lors de la prochaine session ordinaire de la DiĂšte.
Dans ce type de configuration, le symbole devient un levier. Vous ne votez plus sur une peine ou une dĂ©finition juridique, vous votez sur lâidĂ©e de ârespectâ. Et personne nâaime avoir lâair de dĂ©fendre âlâirrespectâ, mĂȘme quand câest prĂ©cisĂ©ment ça, la libertĂ© politique.
Ce que la loi toucherait vraiment
Ă ce stade, vous pouvez vous demander, âDâaccord, mais qui a envie de brĂ»ler un drapeau?â Justement. Les textes de ce type nâattrapent pas seulement des actes extrĂȘmes. Ils crĂ©ent un climat oĂč lâart, la satire, la performance, le dĂ©tournement visuel, la contre-manifestation deviennent plus risquĂ©s Ă organiser, Ă financer, Ă hĂ©berger.
Le cĆur du problĂšme, ce nâest pas le tissu. Câest lâidĂ©e que certaines critiques ne sont plus seulement impopulaires ou choquantes, mais pĂ©nalement suspectes. MĂȘme avec peu de condamnations, lâeffet dissuasif peut suffire Ă faire taire les formes dâexpression les plus visibles, celles qui bousculent.
Le miroir américain
Cette stratĂ©gie nâest pas propre au Japon. Aux Ătats-Unis, Donald Trump a signĂ© le 25 aoĂ»t 2025 un dĂ©cret demandant au procureur gĂ©nĂ©ral de poursuivre les actes de profanation du drapeau amĂ©ricain, relançant un affrontement frontal avec la protection constitutionnelle de ce type dâexpression politique.
Les architectures juridiques diffÚrent, mais la logique politique se ressemble, transformer un symbole national en frontiÚre pénale, puis forcer juges et opinion à choisir entre liberté et sacralité civique.
Au fond, ce nâest pas une querelle de drapeau. Câest une dispute sur la propriĂ©tĂ© du langage politique, qui a le droit de dire ânonâ, et jusquâoĂč vous avez le droit de le montrer.
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