Bienvenue dans une traversée sensorielle, où les notes dessinent Tokyo et les livres deviennent des playlists.

Quand la nuit tombe sur Tokyo, deux mondes s’éveillent. L’un vibre dans des caves enfumées où le jazz coule à travers des enceintes vintage.
L’autre scintille au rythme de synthés soyeux, entre palmiers illustrés et voitures qui glissent sur des autoroutes imaginaires… Murakami, Ishiguro, et tant d’autres transforment la musique en mots, les disques en paysages mentaux.
🕶 Jazz japonais
Le jazz, au Japon, n’est pas un simple genre musical. C’est une liturgie.
Dès l’après-guerre, les jazz kissaten cafés d’écoute ultra-exigeants ont transformé l’écoute en art silencieux. Dans ces lieux feutrés, on ne parle pas : on écoute. Vinyles rares, enceintes imposantes, ambiance quasi monastique.
Certains temples tiennent encore debout :
- Eagle à Yotsuya, repère mythique à l’écoute stricte.
- On a Slow Boat to… à Ochanomizu, où la bossa rencontre le jazz brésilien.
- Studio Mule à Shibuya, lieu d’exploration musicale.
Au sommet de cette hiérarchie sacrée trône le Blue Note Tokyo (ouvert en 1988), satellite du célèbre club new-yorkais. 300 places, nappes blanches, artistes internationaux, enregistrements live le luxe discret d’un Tokyo nocturne qui prend son temps.
Derrière ces lieux : des passionnés. Propriétaires érudits, audiophiles fous, photographes discrets. Comme à Basie (Iwate), immortalisé au cinéma, où tubes à lampes, fauteuils capitonnés et perfection sonore incarnent le romantisme acoustique à la japonaise.
📚 Murakami, Ishiguro
Difficile d’évoquer le jazz sans mentionner Haruki Murakami. Avant d’écrire, il gérait un bar à jazz à Tokyo : le Peter Cat. Cette vie antérieure infuse tous ses romans : solitude, mélancolie, longues nuits et références musicales précises.
Dans Absolutely on Music, Murakami discute jazz avec le chef d’orchestre Seiji Ozawa. Il y révèle une pensée littéraire calquée sur la musique : refrains, crescendos, silences comme un solo de sax bien placé.
Autre figure pont entre littérature et musique : Kazuo Ishiguro, prix Nobel, auteur de paroles pour la chanteuse Stacey Kent. Des mini-fictions en 32 mesures, récemment réunies en recueil : la littérature devient chanson, et inversement.
🌆 City-pop : l’utopie sonore d’un Japon en boom
Née au mitan des années 70, la city-pop incarne une autre mythologie urbaine. C’est la bande-son de l’ère bulle : prospérité, loisirs, high-tech. Le Japon se rêve moderne, climatisé, sophistiqué.
Mariya Takeuchi, Tatsuro Yamashita, Minako Yoshida… tous signent des tubes sucrés, teintés de funk, de boogie et d’AOR. Mais le visuel compte autant : stations balnéaires stylisées, couchers de soleil artificiels, typographies affûtées.
L’illustrateur Eizin Suzuki a immortalisé cette esthétique sur la pochette For You (1982), véritable poster mental de toute une époque.
📈 Renaissance algorithmique : quand YouTube et TikTok rallument les néons
En 2017, un YouTuber poste une version longue de “Plastic Love” de Mariya Takeuchi. L’algorithme s’emballe. Résultat : des dizaines de millions de vues, une icône née malgré elle, et une redécouverte globale du genre.
Puis vient “Mayonaka no Door” de Miki Matsubara, relancé par TikTok fin 2020. En quelques semaines, le morceau devient viral. La city-pop quitte les frontières du Japon pour devenir un moodboard international.
Des labels comme Light in the Attic enfoncent le clou avec les compilations Pacific Breeze (2019 et 2020), enrichies d’artworks signés Hiroshi Nagai, autre génie du visuel city-pop.
📖 Littérature musicale
Les écrivains japonais n’ont pas seulement cité des disques, ils ont écrit comme on compose.
Chez Murakami, les romans suivent une structure musicale : motifs récurrents, silences significatifs, variations. Absolutely on Music éclaire ce lien profond entre écriture et écoute.
Chez Ishiguro, le non-dit et le timing émotionnel évoquent le jazz. Ses paroles pour Stacey Kent sont des nouvelles miniatures, précises, feutrées.
Et si vous relisez un chapitre de Murakami en contemplant la pochette de For You, tout s’aligne : l’autoroute mentale, la solitude climatisée, le rêve d’un ailleurs permanent.
🗺 Pour prolonger le voyage : adresses & morceaux
| Lieu / Artiste | Ce qu’il incarne | Où le trouver / écouter |
|---|---|---|
| Eagle (Yotsuya) | Jazz kissa puriste | Tokyo, écoute stricte |
| Blue Note Tokyo | Scène jazz haut de gamme | Minami-Aoyama |
| Mariya Takeuchi – Plastic Love | Hymne city-pop, viral sur YouTube | YouTube, Spotify |
| Tatsuro Yamashita – For You | Visuel & son iconiques | Album culte (1982) |
| Miki Matsubara – Mayonaka no Door | Tube TikTok, nostalgie 80s | Spotify, YouTube |
| Kazuo Ishiguro & Stacey Kent | Chansons littéraires, jazz vocal élégant | Albums : Breakfast on the Morning Tram |
| Haruki Murakami – Absolutely on Music | Écrivain mélomane, structure jazz | Livre (Penguin Books) |
🎧 Bonus playlist
- Taeko Ohnuki – Kusuri wo Takusan
- Minako Yoshida – Midnight Driver
- Tatsuro Yamashita – Love Talkin’ (Honey It’s You)
- Yasuko Agawa – L.A. Night
- Miki Matsubara – Mayonaka no Door
- Sadao Watanabe – Round Trip
- Toshiko Akiyoshi – Long Yellow Road
- Haruomi Hosono – Sports Men
- Mariya Takeuchi – Plastic Love (long ver.)
- Ryuichi Sakamoto – Merry Christmas Mr. Lawrence
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