Des forêts embrumées du nord aux récifs coralliens du sud, une autre carte du Japon s’écrit.

Des forêts embrumées du nord aux récifs coralliens du sud, une autre carte du Japon s’écrit. Elle n’est ni tracée par les capitales ni par les bullet trains — mais par des voix.
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Celles des Ainu et des Ryūkyūens, peuples autochtones dont les littératures mêlent récits de voyage, archives vivantes et résistances poétiques. Ce sont des journaux, des chants, des fictions.
Ce sont aussi des manières de marcher le monde. Suivez le fil.
🧭 Carnets croisés : entre écrire, marcher, traduire
Des écrits dessinent un dialogue entre l’extérieur qui observe, et l’intérieur qui reprend la plume.
De Bird à Kayano, de l’Omoro aux fictions contemporaines, la littérature ainu et ryūkyū se tisse dans le mouvement :
→ Carnets d’explorateurs
→ Notes d’ethnographes
→ Mémoires d’insulaires
→ Traductions savantes
🔁 Traduire, c’est re-voyager
Traduire un chant kamuy yukar, ou rendre audible un poème omoro, c’est faire des choix. Sarah M. Strong, John Batchelor, ou encore les éditions de l’Omoro Sōshi en japonais moderne rendent visibles ces ponts.
Traduire, c’est continuer la route, faire circuler des imaginaires menacés par la centralisation linguistique.
🌲 Nord et Hokkaidō, la route comme mémoire Ainu
Imaginez une pluie fine glissant sur les sapins d’Hokkaidō. C’est dans cette brume que, dès 1878, l’exploratrice britannique Isabella Bird prend la plume. Son journal Unbeaten Tracks in Japan nous livre un regard occidental, curieux mais teinté d’exotisme, sur les Ainu. Elle y consigne ses visites, ses dialogues, ses observations — ouvrant ainsi une première “fenêtre” sur ces sociétés longtemps ignorées.
Mais bientôt, cette fenêtre devient un miroir.
✍️ Chiri Yukie : écrire contre l’oubli
En 1923, Chiri Yukie, jeune femme ainu, publie l’Ainu Shin’yōshū, première anthologie de chants kamuy yukar transcrite par une Ainu elle-même. À 19 ans, elle transforme l’oral en archive.
C’est plus qu’un acte littéraire : c’est un geste de réappropriation culturelle. Sarah M. Strong l’analyse dans Ainu Spirits Singing, soulignant la finesse politique et émotionnelle du travail de Chiri.
Elle nous rappelle une chose :
“L’oralité aïnue n’est pas un folklore figé. C’est une mémoire active. Une playlist vivante.”
📼 L’archive sonore : les chants en cylindres
Autre fragment de cette mémoire : les enregistrements sur cylindres de cire réalisés par Bronisław Piłsudski au début du XXᵉ siècle.
À Hokkaidō et Sakhaline, il collecte des voix, des rythmes, des chants aujourd’hui ressuscités comme trésor culturel. Là encore, le voyage devient archive.
📓 Kayano Shigeru : carnet d’un survivant
Plus tard, Kayano Shigeru, militant et écrivain ainu, publie Our Land Was a Forest (1994), où nature, langue et lutte se mêlent.
C’est à la fois une autobiographie et une carte sensorielle : on y entend les montagnes, les mots, les traditions. Kayano écrit comme on marche à hauteur d’herbe, de rivière, de mémoire.
🏞️ Upopoy : une pause engagée à Shiraoi
Depuis 2020, le National Ainu Museum & Park (Upopoy) propose une immersion unique : expositions sur les langues, cosmologies, danses vivantes… Un lieu conçu comme “espace symbolique pour l’harmonie ethnique”.
À visiter avec temps, respect, et oreilles grandes ouvertes.
🌊 Sud et Okinawa, écrire depuis les Ryūkyū
Loin, au sud, les Ryūkyū chantent leur monde bien avant leur annexion par le Japon. À la cour de Shuri, on compile l’Omoro Sōshi, recueil de plus de 1 100 poèmes anciens (XVIᵉ–XVIIᵉ s.).
Ces vers évoquent dieux, vents, îles, routes maritimes… La littérature devient carte du monde insulaire.
⛵ Vue d’ailleurs : Basil Hall et l’effet loupe
En 1816, l’officier britannique Basil Hall jette l’ancre à “Loo-Choo” et rédige un carnet mêlant admiration, exotisation et ethnographie involontaire.
Il donne aux lecteurs anglais une première image du royaume ryūkyūen miroir déformant, mais précieux.
📝 Fictions d’après-guerre : écrire sous pression
Au XXᵉ siècle, la littérature d’Okinawa prend à bras-le-corps les séismes de l’Histoire :
- Ōshiro Tatsuhiro, Le Cocktail (1967) : une nouvelle/pèce dénonçant la présence militaire américaine.
- Matayoshi Eiki, La Vengeance du cochon (1995) : roman sur les rites funéraires et la fracture sociale.
- Medoruma Shun, Droplets (1997) : réalisme magique où la mémoire de guerre suinte dans les corps.
Trois œuvres, trois angles. Un même cri silencieux : comment survivre à l’histoire imposée ?
🖼️ Okimu : musée pour ancrer les récits
À Naha, le Okinawa Prefectural Museum & Art Museum (Okimu) tisse un parcours entre nature, histoire et arts ryūkyūens.
Idéal pour comprendre les textes dans leur contexte des routes commerciales avec la Chine aux reconstructions post-guerre.
📚 Envie de prolonger le voyage ?
Voici quelques pistes à lire, entendre, marcher :
| Type | Titre / Lieu | Pourquoi c’est marquant |
|---|---|---|
| 📖 Classique Ainu | Ainu Shin’yōshū (Chiri Yukie) | Une anthologie fondatrice |
| 🔊 Archives sonores | Cylindres de Piłsudski (1902–1903) | La voix retrouvée des ancêtres |
| 🧭 Carnet d’exploratrice | Unbeaten Tracks in Japan (I. Bird) | Le regard occidental en question |
| 📘 Fiction Okinawa | Le Cocktail / La Vengeance du cochon / Droplets | Trois écritures de la résistance |
| 🏞️ À visiter | Upopoy (Shiraoi) / Okimu (Naha) | Où la littérature rejoint les paysages |
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